Crises sociales, vulnérabilités et pratiques professionnelles – Zaragoza (ESP) – 2014

La thématique générale

Licenciements, chômage des jeunes, multiplication des activités mal rémunérées et dérogatoires au statut classique de l’emploi, réduction des dépenses sociales et mise à l’épreuve des solidarités familiales… Les derniers épisodes de la crise amorcée en 2008 confèrent au diagnostic d’effritement de la société salariale une acuité singulière. Les dégâts enregistrés dans les domaines de l’organisation du travail et de la protection sociale inscrivent à nouveau dans notre structure sociale l’incertitude et les risques qu’avait réussi à conjurer l’État social. (Castel, 2012).

Dans ce contexte de vulnérabilité étendue, le social se voit redéfini.  Sous l’horizon de la dette, la remise en cause de l’État social se fait plus radicale (Lazzarato, 2011). Désormais, « la responsabilité individuelle envers la société précède la responsabilité collective envers   les individus » (Bernheim et Commaille, 2012). Responsable de son employabilité, de sa productivité et de son efficience, de son endettement, de son accès au logement, de son capital-santé et de son capital-pension  – prié, pour faire court, d’assumer la gestion de ses propres difficultés – l’individu « entrepreneur de soi » promu par les politiques actives se voit renvoyé à ses déficiences individuelles présumées.

Trois axes de questionnement peuvent être privilégiés pour comprendre les réponses apportées à cette situation sociale inédite.

D’une part, la psychologisation du social à laquelle participent les politiques visant à promouvoir l’autonomie et la responsabilité par la reconstruction d’un rapport positif à soi exige la plus grande vigilance analytique. Ainsi, selon Fraser (2005), l’hégémonie du paradigme de la reconnaissance dans la lecture des problèmes sociaux et la construction des politiques nouvelles entraîne l’éviction des questions de justice redistributive. La prétention à résoudre les problèmes sociaux par la transformation des individus conduit, in fine, à l’abandon des idéaux antérieurs de lutte contre les inégalités sociales (Hamzaoui, 2002).

D’autre part, la technicisation des métiers du social révèle la mutation profonde d’un secteur désormais livré aux impératifs néo-managériaux d’efficience et de rationalité économique. Généralement  standardisés et réduits à une succession d’actes techniques, les dispositifs contemporains d’accompagnement ont-ils d’autres fonctions que l’adaptation – à coût maîtrisé –  des individus aux exigences sociétales ? Quelles sont, face à la casse de leurs métiers, les marges de résistance subjective, idéologique et professionnelle offertes aux travailleurs du social ?

Enfin, le recours généralisé à la sémantique de la vulnérabilité semble ouvrir l’action publique à un régime d’attention et de soutien à un usager toujours en tension entre vulnérabilité et autonomie. Il s’agirait de restituer « à chacun des capacités lui permettant d’assumer son autonomie » (Genard, 2007). Dans les faits, il contribue à occulter la dimension collective des situations sociales problématiques et se limite à la production d’habitus conformes aux ordres normatifs en vigueur dans les différentes sphères de vulnérabilité. Qu’elle réponde à une demande d’ouverture de droits (la catégorie du handicap psychique) ou qu’elle se voie opposer le refus d’une restriction des libertés individuelles (la mise sous tutelle d’adultes),      la catégorisation des personnes vulnérables  en cibles de l’action publique résulte de rapports de pouvoir dans lesquels les usagers n’ont que peu de poids et qu’il s’agit d’élucider. De nouvelles vulnérabilités apparaissent (la figure du travailleur précaire assisté), d’autres acquièrent une visibilité nouvelle (l’individu (sur)endetté). D’autres, enfin, demeurent dans l’ombre (les sacrifiés pour autrui, seniors absorbés par l’aide à un proche en perte d’autonomie). En ce domaine, le travail d’inventaire reste à fournir…

Trois axes thématiques prioritaires

1er Axe de travail : Crise,  recomposition du salariat et politiques sociales

2ème Axe de travail : traitements des crises et modes d’intervention

3ème Axe de travail.: Nouvelles vulnérabilités et catégorisation des populations

Références Bibliographiques

BERNHEIM Emmanuelle et COMMAILLE Jacques, 2012, « Quand la justice fait  système avec la remise en question de l’État social », Droit et société, n° 81, pp. 281- 298.

CASTEL Robert et MARTIN Claude, 2012, Changements et pensées du changement. Échanges avec Robert Castel, Paris, La Découverte.

CHAUVIERE Michel, 2012, « Des supports de l’individu moderne a la casse des métiers », in CASTEL Robert et MARTIN Claude, 2012, Changements et pensées du changement. Échanges avec Robert Castel, Paris, La Découverte.

FRASER Nancy, 2005, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris,  La Découverte.

GENARD Jean-Louis, 2007, « Capacités et capacitations : une nouvelle orientation des politiques publiques ? », Droit et société, n° 46, pp. 41- 64.

HAMZAOUI Mejed, 2002, Le travail social territorialisé, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles.

LAZZARATO MAURICIO, 2011, La fabrique de l’homme endetté. Essai sur la condition  néolibérale, Paris, Editions Amsterdam.